Réhabiliter la Magdaléenne…

Lourdement répété lors du reportage « L’ombre d’un doute » sur la chaîne française FR3, Marie Madeleine serait devenue la compagne de Jésus, et même, pour certains, la mère d’une descendance cachée
Il est vrai qu’au cours des siècles, en Occident, Marie de Magdala, (ou Marie Madeleine) sobrement évoquée dans les écrits du nouveau testament, s’est muée en un personnage ambigu, sorte de prostituée convertie, malheureuse figure d’amalgames successifs.
L’évangile de Luc nous la présente comme une femme galiléenne « devenue disciple de Jésus, et délivrée par lui de sept démons » donc rescapée d’une situation gravissime. Les sept démons en question symbolisent une tentation périlleuse, qui n’est pas du registre sexuel, mais plus fondamentalement du registre philosophique et religieux concernant le salut de l’être humain. Certaines personnes, à l’époque troublée de la présence romaine et des influences grecques, étaient tentées par la vision païenne de l’être humain, avec les liens mythologiques et idolâtriques que cela implique. Un siècle avant Jésus, le mouvement pharisien était précisément né, en Israël, de cette préoccupation de sursaut spirituel face aux séductions du paganisme. Le mouvement essénien était également de son côté une protestation envers la corruption des milieux sacerdotaux sadducéens gérant le Temple de Jérusalem. L’identité du judaïsme était en jeu et le piège devait être déjoué en tant qu’altération de la foi des pères.

Marie de Magdala « libérée de sept démons » pourrait bien avoir été repêchée de cette mouvance humaniste paganisante, grâce au charisme pastoral du rabbi Jésus. Alors d’où sont venus ces amalgames douteux sur le profil de cette femme ayant radicalement changé de vie ? C’est la logique propre à la chrétienté en voie d’expansion qui a vraisemblablement pris le dessus sur le questionnement plus fondamental et spécifique des siècles précédents.

Si dans son traité sur la pénitence, Ambroise refuse encore de confondre la sœur de Lazare avec la pécheresse décrite par Luc, c’est Augustin (4ème-5ème s.) de mentalité dualiste et sensible aux problématiques sexuelles, qui assimile les deux personnages. Avec Grégoire le Grand (6ème s.), les jeux sont faits, la pécheresse et Marie Madeleine ne font qu’un ! Enfin, pour Bède le Vénérable, Marie, sœur de Lazare, est expressément une « femme de mauvaise vie » (Luc), qui, pénitente, devient chaste (Jean).

Un tel personnage sulfureux s’est donc élaboré par étapes, alors qu’en Orient, on n’a pas du tout adopté cette approche moralisante et on a maintenu clairement la distinction entre deux Marie différentes.

Comment restituer à Marie de Magdala son authenticité originelle, ainsi que sa dignité, sinon en retrouvant le contexte de son existence sociale?

D’abord, il faut être conscient du fait que la Marie Madeleine pécheresse propulsée sur le devant de la scène au Moyen-Age occidental correspond à la conjoncture d’une théologie restrictive de l’âme et du corps, ayant tendance à focaliser le péché prioritairement sur le charnel. Il y avait sans doute le souci de proposer aux femmes en dérive morale un modèle pédagogique de rédemption.

De ce fait, l’époque médiévale, aux mœurs souvent brutales, est en même temps celle qui réagit pour faire contre-poids en faisant la promotion de la « dame » à travers l’amour courtois et qui popularise ainsi le respect dû aux femmes. L’image de « Notre Dame » pour vénérer la Vierge est dans le même sillage et a certainement joué un rôle protecteur du statut de la femme. Par ailleurs, toutes les corporations professionnelles avaient leur saint patron, quid des femmes vénales marginalisées ?

Ce contexte éclaire la mise en scène progressive mais artificielle d’une Marie Madeleine ressemblant à des femmes voulant sortir de leur instrumentalisation sexuelle par les hommes et de leur déchéance sociale.

Pourtant, lorsque Jérôme (4ème s.) précise : « Marie Madeleine est celle-là même dont le Christ avait expulsé sept démons, afin que là où avait abondé le péché surabondât la grâce » encore faut-il saisir le sens de cette phrase. S’il est question d’une « Marie de Magdala libérée de sept démons » au contact de l’enseignement de Jésus, c’est la manière hébraïque de dire qu’une femme a complètement assaini sa vie grâce à la Parole de Dieu. « Si l’œil est dans la lumière, toute la vie sera dans la lumière… »

Précisément, le sept est le signe de la plénitude. Les démons représentent tout ce qui divise l’être humain et le retient captif du monde des ténèbres. Pas question de sexe ici. On sait que le monde païen et ses dérives malfaisantes est toujours représenté par les ténèbres.

On peut en déduire logiquement que Marie de Magdala a pu être l’une de ces femmes juives du 1er siècle qui suivent Jésus par soif d’une spiritualité libératrice en phase avec leur époque tourmentée et par le retour aux sources des saintes Ecritures mises en lien avec la vie concrète, (ce en quoi Jésus excellait). L’évangile de Luc évoque des femmes (Jeanne, Suzanne et d’autres) qui font partie du groupe itinérant des disciples en contribuant à leur entretien, mais surtout en s’instruisant de la Torah à égalité avec les hommes, ce qui était assez nouveau, il faut le reconnaître.

Marie de Magdala, l’une d’entre elles, a pris sa vie en mains grâce à l’enseignement messianique de Jésus, elle a réalisé son émancipation spirituelle en se cultivant et en se purifiant de toute influence du paganisme ambiant ; elle a refusé par là-même les fausses valeurs destructrices de l’humain et les illusions d’une modernité philosophique de l’époque. On comprend sa reconnaissance et sa fidélité envers le Maître après son retour aux sources vives du judaïsme : elle sera aux pieds de la croix du Golgotha, comme elle sera le premier témoin de la résurrection du Christ. Triomphe de la cause de la vérité de Dieu impliquant celle de l’humain.

C’est donc avant tout cet aspect spirituel majeur qui peut donner sens au personnage de Marie-Madeleine, et non pas une quelconque saga érotico-mystique à la manière des Da Vinci Code et autres délires insidieux concoctés à partir d’un ésotérisme bas de gamme.

Pour mieux comprendre qui est réellement cette femme forte imprégnée d’esprit biblique et assumant fièrement sa féminité par un choix de vie exigeant, il vaut la peine de s’intéresser à son nom : « Magdala » qui a donné en français Marie la Magdaléenne, ou Marie Magdeleine…

De l’hébreu mi-gd-al, « croître », Marie Magdala est cette personne à qui une rencontre décisive avec le Messie a permis de grandir en faisant le lien entre la Parole de Dieu et sa vie de femme qui prend ses responsabilités.

Affranchie des influences démoniaques du paganisme, son âme a été libérée et grandie.

Mais migdal signifie aussi « tour de guet ». Marie qui s’est réapproprié son avenir et sa dignité en se mettant à l’école de Jésus a accédé spirituellement à la même position que cette tour, fréquente aux abords des vignes en Israël, et du haut de laquelle le veilleur posté voit se lever l’aurore d’un jour nouveau .

La tour des veilleurs aux abords de la vigne…Chacun sait combien la vigne symbolise Israël dans la littérature biblique. Ainsi, Marie de Magdala, fille d’Israël prise en considération dans sa dignité de femme et sa quête d’une foi biblique en lien avec la vie, est devenue témoin-clé de la résurrection de Jésus et des perspectives offertes par cet événement.

Elle est à ce niveau l’une des premières proches de Yeshua, Messie d’Israël, lumière pour le monde entier, Christ également « aîné d’une multitude de frères et de sœurs » appelés à la vraie vie…

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